Le « Deutsche-Togo Bund » : retour sur un combat identitaire livré par des nationalistes Ewé

Le « Deutsche-Togo Bund » : retour sur un combat identitaire livré par des nationalistes Ewé

Dès sa création le 1 er septembre 1924 à Accra par une amicale d’ anciens fonctionnaires de l’ administration coloniale allemande, le Deutsche-Togo Bund (DTB) qui signifie en français Pacte germano-togolais ou Germania-Togo nublabla en Ewe va se positionner comme seul protecteur des intérêts allemands dans le nouveau territoire conquis par les anglo-français en 1918. Dans ses pétitions à la Société des Nations (SDN), ses dirigeants exigent l’ évacuation pure et simple du Togo par les nouveaux maîtres du territoire et sa restitution immédiate aux Allemands.

Plusieurs raisons semblent avoir motiver ce mouvement d’ apologistes germanistes à s’ engager contre la présence française au Togo. Au prime abord, il y a la mise à l’ écart des employés de l’ ancienne administration. En effet, sitôt la main-mise des troupes anglo-françaises sur Lomé, la plupart de ces agents qui relevaient de l’ administration teutonne se verront remerciés. A leur place seront recrutés des Adja, Popo, Péda, etc. (proches des Ewé) du Dahomey voisin (actuel Bénin) pour la simple raison que ceux-ci possédaient déjà des rudiments de la langue française. D’ailleurs, ce sont ces groupes ethniques, employés déjà pour la plupart par l’ armée française qui serviront de fantassins au Colonel français Maroix lors de son assaut sur Lomé. L’ autre vecteur de la déconvenue sera la fermeture des plantations, des usines et des maisons de commerce suite au licenciement du personnel servant. Dès lors, les élites Ewé percevront cette attitude de la France comme une posture hostile à leur bien-être. Prenant actes, ces élites locales vont mener désormais un combat identitaire contre le nouvel ordre. Ainsi, la langue française sera de ce fait rejetée par ces élites qui restaient convaincues de la supériorité de la culture allemande ou du moins anglo-saxonne. A cet effet, ces premières élites locales formées par les allemands ne voudront pas entrer dans le moule français par l’ apprentissage de la nouvelle langue. C’est dans cette circonstance qu’a pris corps cette fronde anti-française. A partir de cet instant, la France mènera une politique de « dégermanisation » du territoire. Ce qui fera passer très tôt les membres du Bund à la clandestinité.

Un engagement au service de l’ Allemagne

Voici quelques unes des idées maîtresses qui ont prévalues à la création de ce mouvement de revendication pro-allemand dans les années 1920 :

Pour les « Bundistes », plutôt que le Togo reste écartelé en deux morceaux confiés l’ un à l’ Angleterre et l’ autre à la France, et ce sans consultation aucune des Togolais, il vaudrait mieux que le pays soit réunifié ; puisque les Togolais sont habitués aux Allemands et les connaissent mieux que les Français, pourquoi ne pas confier le mandat de la SDN à l’ Allemagne au lieu de l’ Angleterre et de la France ? en cette qualité de mandataire, l’ Allemagne enverrait au Togo des instituteurs, des formateurs et non des colons.

En somme pour le Bund, les Allemands seraient appelés dans ce cas à transmettre leurs sciences, leurs technologies et leurs savoirs aux Togolais, dans tous les domaines de la vie économique, politique, sociale et culturelle.

Les figures de proue du mouvement

Le premier dirigeant du Bund s’ appelait Johannes Apenyowu Agboka. Il était entouré des cadres comme le révérend Pasteur Erhardt Paku, le Docteur F.K. Fiawoo, John Kwaku Seddoh, Raphaël Dzitri, etc. Tous résidaient périodiquement à Anlongan (Togo Britannique) où sur proposition du Révérend Pasteur Baeta ( un autre membre non des moindres du Bund) a été finalement ouvert en 1938 le « New Africa University College », une institution éducative qui se voulait promotrice des valeurs Ewé.

Se rapprocher coûte que coûte des milieux d’ affaires allemands

Plusieurs sources historiques indiquent qu’au début des années 1930, le Deutsche-Togo Bund demanda à l’ Allemagne d’ envoyer sur place un homme d’ affaires, voire un commerçant ou agriculteur compétent qui pourrait acheter les produits d’ exportation à des prix abordables pour l’Allemagne. Il semble qu’un certain Robbe fut effectivement désigné. Dans son ouvrage, « De la colonisation allemande au Deutsche-Togo Bund (Ed. L’ Harmattan, Paris 1998), l’ historien Godwin Tété Adjalogo indique que ce dernier projeta de cultiver une plante à fibre textile du nom de « ranie » qui se cueille tous les six mois. « Aussi, les Bundistes lui avaient-ils réserver des terres appropriées à Fodomé, Katikopé et Vé ( dans la région d’Agou) », raconte t-il.

Malheureusement, ce projet ne se réalisa pas puisque d’ après la même source, Robbe mourût à Accra deux semaines seulement après son arrivée en Afrique. Qu’à cela ne tienne, ce décès n’ émoussera pas la détermination du groupe revendicatif de se rapprocher de l’ Allemagne puisqu’il sera remplacé par Robert Riegermann en 1936.

Encore appelé « le nazi » du fait de sa collusion avec le parti militariste allemand, Riegermann s’ installe à Koloenou (Togo Britannique) où il ouvre 37 boutiques commerciales. Plusieurs sources historiques indiquent que rès vite, son commerce de cacao fleuri : devenant plus important que celui de tous ses concurrents réunis.

Le DTB mis précocement sous éteignoir par les anglo-français

A la fin de 1938, soit à la veille du second conflit mondial, le glas du DTB sonna lorsque les autorités françaises et anglaises décidèrent d’ en finir avec les « allemands noirs ». Aussi au Togo, le gouverneur Montagné ne manqua pas de traquer ardemment les membres du Bund. Il s’agissait pour les deux administrations de briser tout soutien local au régime nazi et en outre faire taire toute contestation indigène dans les deux Togo. Godwin Tété Adjalogo raconte dans son livre pré-cité qu’à la même époque (toujours fin 1938), les Britanniques procèdent à l’ arrestation de Riegermann. « Peu après, tous les cadres du DTB vivant au Togo Britannique connaissent le même sort : Johannes Agboka, Clemens Amatey, Clemens Djameh ainsi que d’autres figures de proue du Bund rejoindront Riegermann dans les geôles anglaises », rembobine t-il tout en notant que d’ autres militants du DTB réussiront cependant à échapper à la police anglaise. Au nombre de ceux-ci, les révérends Pasteurs Paku et Elias Awouma. Dans la clandestinité, il semble que ceux-ci ont continué par animer le mouvement de contestation ce, à partir maintenant du Togo français où après l’armistice de 1940 régnait désormais l’ ordre Vichyste.

Les revendications du DTB, une quête devenue impossible au sortir de la seconde guerre mondiale

Libérés à la fin de la guerre et rentrés à Lomé, les sources historiques détaillent que les leaders du DTB organisent le 12 février 1951 une réunion des membres du mouvement. Mais en ce début des années 1950, le climat politique International a évolué et n’est plus le même. En outre l’Allemagne ayant perdue la guerre, la « ligue des togolais allemands » pouvait-elle encore revendiquer son retour comme puissance tutrice en remplacement des anglo-français ? De même le chancelier Konrad Adenauer, un ennemi du nazisme qui aspirait avant tout oublié un passé encore récent n’ entendait pas apporté le soutien du gouvernement allemand à un quelconque mouvement de revendication se réclamant du germanisme. Ce sont donc quelques unes de ces raisons qui ont fait avorter la dynamique qu’incarnait ce mouvement revendicatif qui inspira précocement il y a cent ans aux élites Ewé l’ idée de bâtir leur propre société politique.

Dieudonné Takouda

Innovafrica

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