Togo : les EPES confrontés au choix cornélien de délivrer un enseignement de qualité ou passer la main

Partenaires incontournables de l’Etat qu’ils appuient dans la formation des cadres du pays depuis la libéralisation du secteur de l’éducation, il est cependant de plus en plus reproché à certains établissements privés d’enseignement supérieur (EPES) de ne pas honorer de manière idoine les objectifs qu’ils se sont assignés à savoir, contribuer entre autres à un enseignement de qualité au Togo.

Si plusieurs facteurs peuvent expliquer la faillite de certains EPES dans la délivrance d’un enseignement de qualité pour les apprenants alors que les parents déboursent énormément pour obtenir de bons résultats, on peut tout de même affirmer que l’une des toutes premières raisons de cette situation reste le manque d’engagement de ces promoteurs qui ne se sont invités dans la sphère de l’éducation que pour gagner de l’argent voire s’enrichir sur le dos de ceux qu’ils sont sensés délivrer le savoir. Bien qu’on peut considérer cette assertion à priori présomptueuse, les pratiques sur le terrain nous confortent dans nos analyses car c’est la triste réalité que nous relatons. Ceci dit, comment peut-on alors attendre un enseignement de qualité d’un EPES qui est géré comme une épicerie de quartier ? et où le premier responsable est en même temps directeur des études, comptable, directeur des ressources humaines et j’en passe. Il revient donc aux parents de veiller au grain dans le choix des établissements de leurs enfants. Si certains EPES sont agréés par l’Etat et reconnus par le conseil africain et malgache d’enseignement supérieur (CAMES), d’autres travaillent dans l’illégalité totale depuis des années. Ce qui a motivé après le conseil présidentiel sur l’avenir de l’enseignement supérieur en 2013, la création en 2015 du conseil des établissements privés d’enseignement supérieur (CEPES) pour non seulement œuvrer pour un enseignement supérieur de qualité au Togo mais encourager la culture de l’excellence au sein de ses membres et leur apporter un appui pédagogique et méthodologique. Organisés par le CEPES en février 2016, les états généraux de l’enseignement supérieur privé au Togo ont conduit à des recommandations, notamment aux EPES eux-mêmes et à l’Etat. S’agissant des recommandations adressées à l’Etat, la commission No1 qui traitait des critères d’obtention des agréments et autorisations d’installation des EPES au Togo invitait clairement au point 1 l’Etat à définir le statut des EPES et à les reconnaître comme des structures d’utilité publique et à caractère social à l’instar de certains pays de la sous-région. Au point 2, il était demandé à l’Etat de définir dans le cahier de charges pour les demandes de création, d’ouverture, d’habilitation et d’agrément des établissements privés d’enseignement supérieur deux parties distinctes : une pour la gouvernance administrative des universités et une autre pour les EPES. Au point 3, il s’agissait pour l’Etat de créer une direction nationale de l’enseignement supérieur privé distincte de la direction nationale de l’enseignement public ayant dans son cahier de charges non seulement de contrôler mais aussi et surtout de promouvoir l’enseignement supérieur de qualité au Togo. Enfin au point 4 la commission souhaitait que les membres du CEPES soient associés aux grandes prises de décisions par exemple la loi d’orientation de l’enseignement supérieur en tant qu’acteurs privés sur le terrain. Sur d’autres points notamment l’accréditation au CAMES, la question des curricula et la formation par alternance, il relevait de la compétence de l’Etat de pousser et accompagner les établissements à aller vers les normes CAMES et ses accréditations ; mettre à la disposition des EPES des programmes révisés et mis à jour notamment pour les filières BTS et établir un accord tripartite entre l’Etat, les EPES et les entreprises. Comme obligation, la commission demandait également à l’Etat de cosigner les diplômes reconnus par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) et d’accepter obligatoirement au niveau de la fonction publique tous les diplômes reconnus par le MESR. Pour les recommandations émises à l’endroit des EPES, la commission leur demandait au point « Garantir la qualité de l’enseignement supérieur au Togo » de disposer des infrastructures appropriées pour offrir un cadre de travail convenable, convivial aux apprenants et enseignants ; de recruter des enseignants qualifiés dans de bonnes conditions de travail, avec des rémunérations convenables, les encourager et les financer s’il y a lieu à faire des formations doctorales et pourquoi pas aller en agrégation sur la base d’un contrat entre les deux parties ; d’avoir au niveau des curricula des programmes clairs, disponibles et actualisés. Spécifiquement pour le LMD, tendre vers l’harmonisation des programmes dans le but de simplifier la mobilité des étudiants d’une entité académique à l’autre. L’accès à l’Internet étant important aujourd’hui dans toutes formations, il est demandé aussi bien aux EPES qu’à l’Etat de faire un effort pour l’assurer permanemment aux apprenants. De manière générale, il faut admettre aussi que les maux dont souffrent les EPES sont en partie liés à l’insuffisance de leurs ressources. De ce fait, la commission No 4 a exhorté l’Etat à étendre le code des investissements au secteur privé d’enseignement supérieur ; de faire supprimer des impôts tels que IMF, IS ; les taxes telles que (TP) retenu sur loyer, (TVA) ; les droits d’enregistrement sur les contrats de bail des EPES ; que les EPES bénéficient des financements de recherches au même titre que les établissements d’enseignement publics, etc.

Depuis ces états généraux de l’enseignement supérieur privé du Togo qui ont resserré   les liens de partenariat entre les EPES et l’Etat, ce dernier commence à respecter certains de ces engagements et vivement que cela aille loin même s’il faut reconnaitre que beaucoup de défis restent à être relevé notamment la facilitation de l’Etat pour permettre aux EPES d’avoir accès facilement aux financements.

 Eu égard donc à cette disposition des plus hautes autorités du pays de s’appuyer sur les EPES pour bâtir la société du savoir de demain, parce que l’Etat même reconnait le rôle prépondérant que joue aujourd’hui l’enseignement supérieur privé, il revient tout de même aux fondateurs d’établissements qui ne sont pas conforment aux règles de faire un effort pour l’être. Se conformer aux règles de bonne gouvernance dans la gestion d’un EPES participe indéniablement à la promotion d’un enseignement de qualité, confie le président du CEPES, M. Marcel Macy Akakpo qui dirige avec maestria le conseil depuis sa création. Sachant arrondir les angles quand le besoin s’en ressent parce qu’il est conscient que les promoteurs d’établissements ne disposent pas des mêmes moyens, il a définitivement opté pour une approche pédagogique et pragmatique pour amener les membres récalcitrants à comprendre le bien fondé de se conformer aux règles en vigueur. En réalité en quoi est-ce mauvais de respecter les règles que nous nous sommes fixé ? s’interroge-t-il. Si nous prenons par exemple l’article 15 de notre règlement intérieur qui dispose que tout membre du CEPES a l’obligation d’être en règle avec l’Etat, notamment avec le ministère de tutelle concernant : les agréments, les reconnaissances des diplômes, les impôts et tout le reste, en quoi cela peut-il être une perte pour lui s’il est respectueux des textes ? appréhende-t-il de nouveau. Au contraire estime-t-il, il a beaucoup à gagner d’autant que cet acte participe indéniablement à la préservation de sa réputation d’école sérieuse, donc à sa notoriété.

Marcel Macy Akakpo, président du CEPES

Souhaitant requérir l’anonymat, cet enseignant dont nous nous sommes rapproché pour recueillir le témoignage lors de la préparation de ce dossier et que nous appellerons Youssouf a laissé entendre sur la question des bonnes pratiques dans les EPES que certains fondateurs sont hostiles à ce changement de paradigme qu’appelle le conseil de tous ses vœux. Donnant l’exemple de l’établissement qui l’emploie, il a révélé que la femme du fondateur aussi bien que ses deux enfants émargent au budget de l’école alors qu’il y a beaucoup d’autre besoins cruciaux que l’école n’arrive pas à satisfaire. « Comment voulez-vous alors qu’un tel monsieur accueille avec joie les changements que vont apporter la bonne gestion des finances de l’établissement ? » nous a-t-il demandé. « Nous croyons fermement que tous les EPES au Togo peuvent devenir des modèles en matière d’éducation et de méthode d’enseignement ; tout est question d’organisation et de vision » a-t-il ajouté. Haut lieu de construction et de promotion sociale des élites d’un pays, l’université (surtout privée) ne devrait pas être laissée aux mains des commerçants et autres hommes d’affaires qui ne poursuivent que le gain d’argent au détriment du rendement et des valeurs morales. A la rentrée académique prochaine, probablement qu’on assistera encore à l’ouverture et à la réouverture de ces EPES sans responsabilité. Il revient donc à l’Etat de prendre ses responsabilités pour préserver les intérêts de la relève de demain.

Dieudonné Takouda

Innovafrica

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *