Valeurs de l’ Afrique pré-coloniale : quand les souverains du Danhomey tenaient la dragée haute aux occidentaux dans le Golfe du Bénin
Avant la main-mise occidentale sur l’Afrique survenue aux lendemains de la conférence de Berlin qui a consacré son dépeçage, le continent noir incarnait des valeurs diamétralement opposées à la perception occidentale des choses du monde. Ce qui semblait mieux lui porter si nous nous référons à l’ inhumanité et au matérialisme outrancier qui caractérisent de plus en plus la société humaine d’aujourd’hui.
Tout de même, cet article vise à faire pièce au narratif selon lequel les africains sont des bêtes sauvages, donc n’ont pas d’histoire ni de vision propre à eux-mêmes. A ce négationnisme véhiculé par les milieux ultra-nationalistes occidentaux, nous opposons la posture des monarques du Danhomey ( actuelle République du Bénin) qui n’avaient qu’à cœur la protection de leur patrimoine des dangers d’une société occidentalisée trop mercantiliste . A cet effet ils ont su tenir jusqu’à la fin la dragée haute aussi bien à la condescendance anglaise qu’aux prétentions portugaises et visées expansionnistes françaises sur Kutonu ( Cotonou) qui signifie à raison en langue Houé la rivière de la mort.
Ainsi, pour les rois du Danhomey, l’ argent et l’or ne signifiaient pas tout et ne pouvaient acheter ni la terre, ni l’ honneur et l’éthique. De même, dans leur conception des choses de ce monde, la dignité ne pouvait pas se monnayer tout comme la duplicité de langage ne pouvait être excusable et donc à juste titre ne pouvait être expier que par la mort. Si nous prenons l’exemple de la question de la cession territoriale définitive du port de Cotonou introduite par la France à partir de 1868, on voit que cette puissance colonialiste ignorait qu’elle s’attaquait par l’entremise de cette demande à un concept diamétralement opposé à la perception occidentale de la propriété foncière. En effet, pour les dynastes d’Agbomey, il n’ était pas question de séparer ce port du reste du royaume parce que propriété des ancêtres disparus, la terre est un bien indivis de la communauté. C’est pourquoi le roi, son gérant éminent doit en garantir l’inaliénabilité, même au péril de sa vie. Cette conception déterminera la ligne politique de tous les rois, de Hwégbadja le fondateur de la monarchie au 17 siècle à Agonglo. Il en sera de même avec Gbehanzin qui tiendra dès son accession au trône en 1890 à confirmer avec fermeté ces principes aux français : « jamais nous ne cèdérons Kutonu, ce serait un grave préjudice pour nous et le tonnerre écraserait quiconque voudrait demeurer de force sur ce territoire ». Faut-il rappeler que dès la réitération de ces principes intangibles, la dynastie Hwégbadja aura vécu, d’ autant que le roi sera renversé en moins de trois ans par le corps expéditionnaire français.
En 1876, à Gléwé (Ouidah) en tant que Vidaho (prince héritier), Kondo (deuxième nom de Gbehanzin après celui d’Ahokponu qu’il porta à sa naissance), fera fouetter publiquement l’agent général de la firme Swan Sea ( un blanc anglais donc) qu’il jugeait
de mauvaise foi dans une transaction commerciale. En réaction de cette punition corporelle subie par leur agent qui était d’ailleurs une première dans la sous-région, Londres fait mettre un blocus sur les côtes du royaume, impose une forte amende en huile de palme au roi et envisage même une expédition punitive contre la capitale Agbomey. Dans ce litige comme dans d’autres qui s’en suivront, le roi Glélé et son fils restent fermes et ne voudront pas payer le tribut. Cette prise de position surprendra aussi bien les Anglais que les Français. Décontenancés par cette intransigeance, les négociants Français pour éviter de plus graves dommages à leur commerce dans ce port du royaume se proposent de s’acquitter d’une partie de l’ amende en 1877. Mettant à profit cette occasion, les Français font renouveler en avril 1878 le traité de relations commerciales qu’ils avaient signés vingt-sept ans plutôt ; faisant inclure dans le texte la cession définitive du port de Cotonou. Mais à Agbomey, les autorités émettent une fin de non recevoir, désavouent leurs représentants qui, à Ouidah ont négocié et signé le texte. Les considérant comme des traîtres, le roi et son fils les font venir dans la cité royale et les exécutent pour crime de haute trahison. Ce sera de même quelques années plus tard avec les Portugais qui échouent dans leur tentative d’étendre leur protectorat sur Cotonou en 1886. A leur demande, Kondo les reçoit à Jimé dans sa résidence princière et les éconduits. Dans sa lettre de juillet 1887 au roi du Portugal Dom Luiz 1er, Glélé écrit : « le roi de Danhomey ne donne une cuillerée de sa terre à personne ». Chacha de Souza, fils du négrier Francisco de Souza qui avait servit d’ intermédiaire aux portugais pour l’accord de protectorat est convoqué à Agbomey en décembre 1887. Il ne reviendra plus jamais à Ouidah. Ses biens sont confisqués et sa maison détruite. Ainsi au royaume du Danhomey, on ne convoite pas impunément la terre des ancêtres et tous ceux qui ne l’ont pas compris l’apprendront tardivement à leurs dépens.
Décrivant Gbehanzin (nom que portait désormais Kondo depuis son accession au trône le 1er juillet 1890 après la mort de son père Glélé le 28 décembre 1889), l’ auteur Maurice Ricord raconte que l’homme a 45 ans lorsqu’il succède à son père. « Il a le teint clair, le regard hautain, l’ attitude digne et fier », évoque t-il en outre . Il met l’accent sur les traits de caractère de celui-ci. « Sanguinaire, il était aussi a-t-il ajouté, un guerrier redoutable ». Cette caractéristique, notamment l’ amour de la guerre ( lorsque le contexte l’ exige) ajouté à l’ amour de la patrie que l’ auteur français a délibérément occulté sont communes d’ailleurs à tous les portraits qu’on a faits de ce roi. En fait, ces caractéristiques correspondent aux dimensions de l’ idéologie qui sous-tendait la ligne politique de la monarchie jusqu’à son renversement par les français en novembre 1892.
Pour autant que cherchait l’ imperialisme colonialiste occidental en Afrique dans la deuxième moitié du 19 siècle si ce n’ était l’ appat du gain facile, sinon l’appropriation des terres africaines ? Ce qui fit dire à Aimé Césaire dans « le discours sur le colonialisme » , paru en 1950 (qui d’ ailleurs est un acte d’accusation contre la civilisation blanche et l’idéologie froide) que la cause réelle de la conquête coloniale était l’ esprit mercantile qu’elle incarnait.
Dieudonné Takouda