Les Fanti ou l’épopée de la curatelle Mina sur Aného
Peuple commerçant venu du Ghana dans la seconde moitié du 17ème siècle, les Fanti dont descendront les Adjigo sont des Mina. Ils auront fait connaître à Aného un essor commercial fulgurant ; ce qui permettra à ce port, au départ prélature personnelle du royaume Pla d’Agbanakin et par la suite tributaire du royaume Guin de Glidji de sortir rapidement de son état de sujétion et d’asseoir la culture et l’hégémonie Mina sur la côte.
Croyances et Origine
Société matrilinéaire, les Mina croient que la mer est leur lieu d’origine. En effet, selon la cosmogonie Mina, l’océan est un espace-temps où l’ancêtre mythique serait issu. De ce fait, la croyance traditionnelle veut que la mer soit le soubassement du monde. Dans cet ordre d’idées, la couleur blanche qu’arbore habituellement le notable ou le chef Mina exprime avant tout l’écume blanche des vagues qui viennent se briser contre la barre ; cette barre dont les pêcheurs Fanti était d’ailleurs les premiers à en connaître les arcanes.
Très épris de leur culture et très attachés à la nomenclature des noms, les Mina, bien avant l’irruption des Européens sur la côte se sont toujours targué d’être les seuls dépositaires de leurs valeurs ancestrales. Ce qu’ils semblent bien exprimer à travers ce dicton local : « On ne devient pas Mina, mais on naît Mina ». Le nom et la langue sont donc en premier lieu des facteurs identitaires incontournables chez le Mina d’ Aného.
L’origine des Mina du Togo est Elmina dans l’actuel Ghana. Ils seraient arrivés à Aného peu après les Guin à la fin du 17ème siècle sous la conduite du piroguier Quam Dessou et se seraient ranger sous la coupe des dynastes Tugban afin de les représenter à Aného.
Différentes sources écrites et orales confirment cette opinion qu’au commencement, c’est Glidji qui nommait l’ » Aputagan » c’est-à-dire le chef de la ville d’Aného afin que celui-ci assure la perception des taxes d’exportation et représente valablement le royaume Guin. Immanquablement, ce choix se faisait parmi la descendance de Quam Dessou, alliée traditionnelle de la maison royale de Glidji.
Aného à la fin du 18ème siècle, début 19ème siècle
Sous la férule donc des Adjigo, Aného va devenir à partir du 18ème siècle le point de ralliement de tous les negriers qui croisaient dans la région et un centre commercial important situé entre Keta à l’Ouest et Agbanakin, (grand popo) à l’Est, deux ports negriers avec lesquels la cité Mina rivalisait en fait.
Mais un événement va changer la donne à Aného avec le retour en 1767 de l’Akagban Latevi Awoku qui n’était donc pas un Adjigo et qui pourtant voulait prendre part au partage du profit des taxes et recettes douanières perçues par les descendants de Quam Dessou. Ce que ces derniers n’étaient pas prêts d’admettre. D’où l’instabilité politique qui s’en suivra et qui caractérisera désormais Aného jusqu’à l’arrivée de l’impérialisme colonialiste qui profitera de cet état de choses pour mieux asservir les indigènes du territoire.
Cependant, si les Adjigo, donc les Fanti sont réputés premiers occupants d’Aného parce qu’il faut dire que les pêcheurs Pla, connus pour leur mobilité n’étaient pas du tout nombreux à leur arrivée, qui étaient alors les Akagban, ce groupe identitaire qui prétendait aux mêmes droits que les Fanti et n’aspirait qu’à leur damer le pion ? Pour une bonne compréhension de la question Mina, un retour sur les origines des Akagban s’impose.
Les auteurs sont unanimes pour dire que les Akagban qui deviendront des Lawson à la fin du 18ème siècle seraient d’origine Adangbé, plus précisément de Nugo ou Ningo petite localité située à une quarantaine de kilomètres à l’Est d’Accra. Selon cette assertion, indiquent les historiens, les Akagban seraient donc Adangbé et non Gâ contraïrement à une autre tradition. Ils auraient fait partie de la deuxième vague d’immigrants, celle de la fin du 17ème siècle, conduite par Ashangmo. Refugiés à Glidji, ils resteront dans l’ombre et sous la protection des Tugban jusqu’au milieu du 18ème siècle, lorsque débuta l’odyssée de Latévi Awoku, père d’Akueté Zankli, fondateur de la dynastie Lawson. L’histoire raconte que Laté Bewu, fils d’Asiadu, l’ancêtre des Lawson, ayant épousé Adakou la fille du roi Assiongbon Dandjin de Glidji, naquit Latévi Awoku. Les mêmes sources indiquent qu’éduqué à la cour de Glidji Latevi Awoku ou Ayiku fut confié à un capitaine de vaisseau negrier anglais par le roi Assiongbon Dandjin à qui le marin avait demandé de lui confier un de ses fils pour le faire instruire en Europe. Ce dernier lui aurait remis non pas l’un de ses fils mais son petit fils, qui aurait ajouté par la suite à son nom, celui de ce capitaine anglais, Lawson. Cependant, la preuve de cette assertion, bien que largement répandue est loin d’être faite.
Car sur la vie de Latevi Awoku, les sources écrites manquent pour remonter ses traces lorsqu’il a quitté Aného. Qu’il ait reçu une éducation élitiste en Angleterre ou qu’il ait travaillé comme un serviteur sur un vaisseau negrier anglais, le temps d’être civilisé à l’européenne, qu’à cela ne tienne. Latévi Awoku réapparaitra en tout cas à Aného en homme socialement posé. Racontant la vie de Latévi Awoku dans sa lettre numéro 7, le chirurgien Paul Erdman Isert qui l’a connu révèle que ce dernier était polyglotte et pratiquait simultanément l’anglais, le portugais et le danois.
Dans son étude sur les conflits politiques à Aného aux 19ème et 20ème siècle, l’histoirien Gayibor raconte que ses affaires commencèrent à prospérer, et il se fit construire à Badji du côté de la lagune une résidence princière où tous les negriers anglais se retrouvaient. « Grâce à ses qualités et surtout à ses relations, poursuit Gayibor, Latévi sut rapidement gravir les échelons de la hiérarchie sociale et atteindre la plus haute dignité dont pouvait se satisfaire une ambition humaine dans une petite ville comme Aného. A partir de ce moment, conclue-t-il, il sera le plus célèbre et le plus connu des notables de la région auprès des marchands et voyageurs européens qui le fréquentaient volontiers’’. Comme on le voit, à la légitimité historique des Adjigo comme fondateurs de la ville d’Aného, rétorquait l’authenticité donc des Akagban qui réclamaient à cause de l’ascendance de leur grand-mère Adakou leur implication dans la conduite des affaires de petit popo. Dès lors, le clivage qui s’opérera entre fils d’Aného précipitera la chute de la cité Mina en déstabilisant son commerce. Tombé, suite au coup d’Etat d’Akueté Zankli (lawson 1er), en Mars 1821, le pouvoir des Adjigo ne sera plus que de nom à Aneho. Se sentant en insécurité, la plupart des Adjigo se refugieront à Agouè (actuel Benin) et à Agbodrafo après la fuite de l’Aputagan Komlagan d’Aného. Telle sera la situation jusqu’à l’arrivée des Allemands en 1884 où on verra les Adjigo se placer sous leur protection tandis qu’après le départ des anglais, les Lawson trouveront dans les Français de nouveaux alliés.
Un engagement identitaire toujours Pugnace
La particularité de l’engagement identitaire des Fanti d’Aného est que de tout temps, ils ont rejeté les situations de compromis. C’est pourquoi, bien qu’ils aient accepté la protection des Teutons, ils n’hésiteront pas à les combattre quand il le faudra. En vérité, le combat Adjigo est antérieur à la présence française ; il prend ses racines dès 1910 sitôt que l’administration allemande opta pour une politique répressive.
De même, après le départ des allemands et lorsque le gouverneur Bonnecarrère voudra placer les Adjigo sous l’autorité des Akagban après la première guerre mondiale, il trouvera ces derniers pour le contredire.
Aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après notre indépendance ; la quête des mina n’est pas achevée. Elle continue à travers leur désir d’un monde meilleur.
Sitsopé Messan